47% des sites internet ne mentionnent pas les origines du Lindy Hop

Marion Quesne
6 min readFeb 18, 2021

Enquête sur les sites internet des structures proposant du Lindy Hop en France : on peut mieux faire !

Pour une présentation à venir, j’ai été amenée à faire une enquête sur les sites internet des écoles et associations qui proposent du Lindy Hop en France. Nous ne parlerons pas d’esthétique, ni de charte graphique, mais bien du contenu qui est présent sur votre site internet. A-t’il besoin d’un petit (gros) dépoussiérage ?

Informations générales : l’enquête a été menée au cours de l’année 2020 et je n’ai pris en compte que les structures qui proposent au minimum 2 heures de Lindy Hop par semaine (un niveau débutant et un niveau intermédiaire). Il existe plus d’une centaine de structures en France. Rien qu’à Paris on en dénombre une dizaine (avec parfois plus de 1000 élèves). Nous sommes probablement plusieurs dizaines de milliers de pratiquant.es en France !

L’interface de votre site internet est importante : c’est un véritable outil de communication et une source d’informations pour les élèves — ce que vous décidez d’y inclure (ou de ne pas inclure) dit quelque chose de votre structure. Nous ne sommes pas tous des as de l’internet, il faut en convenir, mais s’il vous est possible de le modifier et d’ajouter des informations, c’est peut être l’occasion.

D’abord quelques chiffres :

9,16 : c’est le nombre moyen de cours de danse (Lindy Hop et Solo Jazz confondus) proposés par semaine par structure en 2020–2021 (sur 100 données).

2005 : année moyenne de création des structures (sur 31 données).

22 écoles de danse et 54 associations (sur 76 données renseignées).

47% : c’est le pourcentage de sites internet ne mentionnant pas les origines du Lindy Hop (sur 100 données)

16,79%: c’est le pourcentage de supports multimédias (photos et vidéos) représentant des danseurs et danseuses noir.es (sur 73 sites et 268 supports).

83,21% : c’est le pourcentage de supports multimédias (photos et vidéos) représentant des danseurs et danseuses blanc.hes (sur 73 sites et 268 supports).

À partir de ces données un constat : la scène swing en France ne met pas assez en avant l’histoire et le contexte culturel de création du Lindy Hop. Même si cela ne concerne que ce qui est présent (ou manque) sur les sites internet uniquement, on peut tout de même s’interroger sur ce manque d’informations et de représentation. Qu’est ce que cela dit de la scène swing en France ? Presque la moitié des structures ne reconnaît pas les origines du Lindy Hop, et seulement 45 supports multimédias sur 268 représentent des danseurs et danseuses noir.es (médias contemporains et d’époque confondus).

En tant que professeur.e et/ou responsables de structures proposant du Lindy Hop, il est indispensable de recentrer l’enseignement et la communication sur la culture et l’histoire.

L’importance des mots et des valeurs véhiculées

Comment avez-vous qualifié le Lindy Hop sur votre site ? Des termes comme “sauvage” avec “des mouvements frénétiques” ou encore développé dans une ambiance “sulfureuse” (exemples trouvés sur des sites de l’enquête) sont à proscrire. Ils font écho à des stéréotypes racistes qui n’ont pas leur place dans des structures qui proposent l’enseignement d’une danse africaine-américaine.

Comment qualifiez-vous le binôme de danse ? Par exemple, on peut lire sur un des sites de l’enquête : “le tarif couple entend un homme et une fille suivant les mêmes cours”. Imposer un binôme hétérosexuel en Lindy Hop montre une méconnaissance de l’histoire et de la culture de cette danse ( — on est aussi en 2021 et notons aussi au passage l’infantilisation des femmes en utilisant fille). Cela vaut également pour les couplages homme/femme, fille/garçon ou cavalier/cavalière par ailleurs. Les binômes de même sexe n’étaient pas rares à l’époque du développement du Lindy Hop, certains ont même été filmés. Le concept de dé-genrer les rôles de danse ne répond pas nécessairement à un “effet de mode” comme on peut souvent l’entendre, mais vient plutôt avec une meilleure connaissance de la pratique culturelle du Lindy Hop et des valeurs associées. Non ce n’est pas nouveau, non ça n’a pas été créé par le mouvement féministe contemporain : les danseurs et danseuses africain.es-américain.es le faisaient déjà…dans les années 1930.

Des pistes pour améliorer le contenu ?

Le copié-collé du texte de Wikipédia sur le Lindy Hop est, je pense, vraiment à éviter, il est très imprécis et très daté (et cela peut donner l’impression que l’histoire et la culture de la danse n’ont pas d’importance pour votre structure). Donnez plutôt des informations que vous avez acquises lors de votre pratique et que vos élèves ne peuvent pas trouver d’eux et d’elles-même facilement : c’est ça qui est intéressant et qui les engage avec le contenu ! Un paragraphe et quelques anecdotes par exemple. Vous pouvez citer clairement les origines de la danse, sans détours comme : “le Lindy Hop est une danse de couple africaine-américaine, développée principalement àHarlem, NYC, à la fin des années 1920”. Et intégrez-y des éléments multimédias représentant des danseurs et danseuses de l’époque et présentez-les dans leur contexte. Dans le cas où vous ne vous sentez pas capable d’écrire un petit paragraphe sur l’histoire du Lindy Hop et d’expliquer brièvement son contexte de création — je pèse mes mots — pensez-vous être légitime pour enseigner cette danse (bénévole ou non par ailleurs) ? Cela peut être dur à entendre, mais le Lindy Hop n’est pas qu’une suite de pas et de rythmiques faciles à apprendre et à enseigner : le contexte de création façonne tellement la danse qu’il est impossible de la transmettre sans l’intégrer dans son enseignement. Si l’anglais n’est pas un problème pour vous, vous pouvez voir ce Webinar sur la pédagogie des danses jazz par Dee Daniels Locke.

Pensez à vérifier les informations que vous mettez sur votre site : par exemple, Frankie Manning n’a pas créé le Shim Sham, il n’a pas fondé la troupe des Whitey’s Lindy Hoppers et le nom “Lindy Hop” n’a pas été donné au Savoy Ballroom. Aussi, la phrase “ses origines métissées font de cette danse un joyeux mélange entre les mouvements improvisés des danses africaines et la structure en 6 et 8 temps des danses européennes” retrouvée dans beaucoup de sites éclipse totalement la dynamique d’oppression et de pouvoir entre la population blanche et la population noire. Si l’on n’appréhende le Lindy Hop qu’au travers du récit de joie, alors la compréhension est incomplète comme le souligne bell hooks : « White folks who do not see Black pain never really understand the complexity of Black pleasure. » (hooks, 1992, p. 158). La notion de “fun”, de “joie” est intrinsèquement liée à l’histoire de la danse et de la population qui dansait le Lindy Hop. Par ailleurs, je ne peux qu’inviter à lire la thèse d’Anais Sékiné sur l’utilisation de la joie et l’appropriation culturelle du Lindy Hop (c’est en français et en accès libre !).

Enfin si l’on trouve l’énergie, le temps et l’espace de promouvoir combien le swing est “fun”, “drôle”, “jovial” à des fins commerciales, il est peut être donc temps d’écrire également quelques lignes concernant l’histoire du Lindy Hop. Bien intégrer l’histoire et la culture dans les cours et dans les supports numériques fait partie intégrante du respect de la discipline : et c’est vous qui êtes les premier.es référent.es pour vos élèves.

Prenons donc un peu de temps pour dépoussiérer nos sites internet, faire quelques lectures, et agissons ensemble pour sensibiliser la scène swing française à être davantage renseignée et respectueuse du Lindy Hop !

Marion.

--

--

Marion Quesne

I am currently writing a doctoral thesis about Lindy Hop. I study race, class, gender, sexuality and respectability in Lindy Hop from the 1920s to … well, today